Cette fille/la fenêtre
Par la fenêtre de ma chambre, je la regardais. Elle empilait des vieux pulls les uns sur les autre et souriait. Il était tard, sûrement l’heure de souper, mais elle semblait à mille lieux de nos vies. Ses mains ouvraient et fermaient les placards, ses pieds foulaient le sol, l’écorchaient à chaque passage et son dos passait son temps à se baisser, lever (comme une remontée mécanique ).
Le spectacle pour moi était trop beau: voir ses cheveux, d’habitude solidement attachés, se libérer de leurs chaînes, se transformer en d’épaisses boucles caressant sa peau blanche me rendait fou.
Caché derrière ma fenêtre, du haut de mes douze ans elle n’avait pas vraiment de soucis à se faire avec moi. Chaque jour passé me rapprochait un peu plus de la majorité et en rentrant du collège je pensais : « Dans 6 ans tu en auras 18, elle n’en aura que 26, mais elle te verra enfin comme un homme et à ce moment… » mais la réalité me rattrapait en pleine figure : quand je lui adressais un simple sourire, j’étais aussi invisible qu’une fourmi à ses yeux.
Elle disparut de la pièce et laissa ses affaires en plan puis revint quelques minutes après avec un téléphone dans les mains. Ses lèvres bougeaient avec une vitalité telle que l’on entendait ses mots avant même qu’elle ne les prononce.
– Tom ! Tu descends veut-tu ?
C’était ma mère et sa voix rauque, elle m’appelait au meilleur moment. Je jetais un dernier coup d’œil à sa fenêtre et descendit.
Dans l’assiette de frites, je formai de grands cercles avec ma fourchette.
– T’as pas faim ?Fit ma mère agacée. C’est ton plat préféré pourtant !
– C’est pas ça, c’est autre chose..
– Oh c’est encore cette fille !Je veux que tu arrêtes de la regarder, on t’as pourtant prévenu avec papa, nous oblige pas à condamner cette fenêtre
– Mais…
– Et tes devoirs, tu y penses à tes devoirs ? Ta prof a appelé trois fois la semaine dernière, elle dit que ton travail n’est jamais fait dans les temps. Est-ce qu’on t’as éduqué comme ça ?
– Je vais faire faire des efforts promis… Je peux remonter maintenant ?
– Mais tu n’as… Bon, files, mais juste pour cette fois hein !
Je montai les escaliers en vitesse et m’installai près de mon poste d’observation : personne. Disparus les pulls, fermés les placards, invisible le mouvement de ses jambes. Dans ma tête repassaient les derniers instants : le téléphone, son sourire, ses phrases entrecoupées. A quoi pouvait-elle penser ? Qui pouvait-elle parler ? Où était-elle ?
J’ouvris la fenêtre et me penchai pour mieux y voir, quand d’un coup, un bruit de moteur vint réveiller la rue. Ce ne pouvait pas être papa, il ne rentrait du travail qu’au milieu de la nuit, maman elle, était au salon.
Une voiture traversa la rue, et je vis l’espace d’un instant ; ses boucles brunes disparaître derrière la vitre. C’était elle. Elle avait le même sourire qu’en partant, si ce n’était pas si haut, j’aurais sauté pour essayer de la rattraper.
Les heures passèrent ; je jetais un coup d’œil à la fenêtre entre deux exercices de maths, mais elle restait vide. Elle n’avait pas l’habitude de sortir le soir, elle préférait réviser, jouer du piano ou plonger sa tête dans des bouquins. Mon père disait d’elle que c’était une fille étrange, mais moi, ça m’attirait.
Maman partit se coucher et j’entendis mon père sur le pas de la porte. Il faisait nuit noire. J’aurais voulu me glisser dans sa chambre comme une pièce dans un puzzle mais impossible. Il ne me restait plus qu’à attendre, attendre que papa s’endorme ; ouvrir la fenêtre
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